Redressement judiciaire ; résiliation ; utilisation de la marque ; compensation de créances connexes

Contrats internationaux

Rappel des faits : Un distributeur français et un fabricant étranger situé dans l’Union européenne entretiennent depuis plusieurs années un courant constant et régulier d’affaires. Nonobstant l’absence d’écrit, il existe un contrat verbal entre les parties qui inclut le droit d’utiliser la marque de la société étrangère à titre de dénomination sociale et pour les besoins de l’activité.

Le distributeur est déclaré en redressement judiciaire en France. Seul un mandataire judiciaire est désigné, s’agissant d’une procédure simplifiée ou il n’est pas obligatoire de designer aussi un administrateur judiciaire.

La société étrangère déclare sa créance. Après ouverture de la procédure, la société française a effectué un paiement anticipé à la société étrangère.

I. La résiliation du contrat en cours par la société étrangère en cas de redressement judiciaire du distributeur français.

Le contrat est « en cours » au jour du jugement d’ouverture d’une procédure collective s’il est à la fois en cours d’existence, c’est-à-dire qu’il a été conclu avant le jugement de redressement judiciaire et qu’il n’a pas totalement épuisé ses effets à cette date.

L’objectif de la résiliation d’un tel contrat de la part du cocontractant étranger était d’obtenir la fin de la collaboration entre les parties et la cessation d’utilisation de la marque étrangère.

L’article L.622-13 du Code de commerce pose les règles en matière de résiliation de contrat lors d’une procédure de redressement judiciaire.

Compte tenu de l’absence d’administrateur à la procédure, la faculté de décider de la poursuite ou non d’un contrat en cours revient au débiteur lui-même (la société française), après avis du mandataire judiciaire, en application des articles L.622-13 et L.627-2 Code de commerce.

 Cela veut dire que les principes applicables sont les mêmes que lorsqu’il y a un administrateur judiciaire à propos de la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure, ou si le débiteur ne possède plus les fonds nécessaires à la poursuite du contrat, et qu’une intervention du juge commissaire est possible, ce sur quoi nous allons nous pencher.

La société étrangère doit adresser une lettre de mise en demeure sur la poursuite dudit contrat à la société débitrice, et doit en envoyer une copie simultanément au mandataire judiciaire pour avis (article R.627-1 Code de commerce).

Les articles L.622-13 et R.627-1 encadrent ensuite la résiliation de plein droit du contrat qui interviendra à l’expiration d’un délai de 30 jours si le débiteur ne formule aucune réponse.

Ce délai de principe peut être allongé sur demande du débiteur par le juge commissaire.

Si, à l’issue d’un délai de 15 jours après réception de la lettre de mise en demeure le mandataire n’a pas rendu d’avis, le cocontractant du débiteur peut saisir le juge commissaire dans un délai d’un mois. Dans le cas où le mandataire rend un avis, mais que la société débitrice ne partage pas cette position, cette dernière peut également saisir le juge commissaire dans le même délai. C’est donc au juge commissaire que revient la mission de statuer sur la résiliation du contrat dans ce cas, l’objectif étant de ne pas patienter jusqu’à l’expiration du délai légal de 30 jours.

Cependant, il est nécessaire en l’espèce que la société étrangère ne maintienne pas ses relations commerciales avec la société débitrice à partir de la mise en demeure puisque cela pourrait être qualifié de reconduction tacite des engagements (Cour de cassation 11/04/2012 n°10-20.505).

Selon la Cour de cassation, le juge commissaire n’a pas à être saisi pour prononcer la résiliation de plein droit d’un contrat à la suite d’une mise en demeure et à l’expiration du délai de 30 jours ( Cass.18/03/2003 n°00-12.693). Pour autant, il peut constater ladite résiliation afin qu’elle ne soit plus contestable (article R.622-13 Code de commerce).

Une nuance doit tout de même être apportée en l’espèce puisqu’il n’y a pas d’administrateur à la procédure mais uniquement un mandataire judiciaire et que la Cour s’est prononcée dans un cas avec administrateur judiciaire dans l’arrêt mentionné.

Il parait donc prudent dans une telle situation de saisir le juge commissaire par mesure de sécurité afin d’éviter toute contestation ultérieure et, dans le même temps, de contacter la société française débitrice afin de prendre acte de la résiliation.

La résiliation entraine la cessation d’utilisation de la marque mais il préférable de le mentionner expressément dans la demande.

II. Le paiement par compensation de créances connexes : exception au principe d’interdiction de paiement.

La « déclaration de créance » est l’acte par lequel les créanciers d’un débiteur objet d’une procédure collective manifestent auprès du mandataire judiciaire leur volonté d’y participer (article L.622-24 Code de commerce).

Le principe est l’interdiction de paiement des créances antérieures après le jugement d’ouverture d’une telle procédure, en l’espèce un redressement judiciaire. Une exception est faite pour le paiement par compensation de créances connexes (article L.621-7 Code de commerce).

Le principal intérêt est de compenser des créances antérieures à la procédure collective avec des créances postérieures qui ne bénéficient pas du paiement préférentiel prévu à l’article L622-17 du code de commerce.

La Cour de cassation admet la compensation pour dettes connexes (19/03/1991 n°89-17.083). Cette solution est reprise par l’article L.622-7 du Code de commerce. Pour autant, la compensation ne peut s’effectuer en présence d’une créance non-déclarée (Cour de cassation 03/05/2011 n°10-16.758).

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les conditions d’application de cette exception au principe d’interdiction des paiements.

Tout d’abord, les créances doivent être certaines et réciproques, c’est-à-dire avérées dans leur principe et concerner deux personnes simultanément et personnellement créancières et débitrices l’une de l’autre.

Ensuite, elles doivent être connexes. Il faut donc une unité de la source des créances, un lien d’interdépendance qui peut être matérialisé par des créances issues de l’exécution ou de l’inexécution d’un même contrat (Cour de cassation 18/12/2012 n°11-17.872) ou d’un ensemble contractuel unique (Cour de cassation 9 mai 1995).

Une fois qu’il est avéré que des créances sont bien connexes, la compensation nécessite d’être invoquée, par voie d’action ou d’exception. Si un paiement est effectué mais que la compensation n’est pas invoquée par le créancier, elle ne pourra pas s’appliquer.

En l’espèce, la société française, ayant procédé au paiement d’une somme à la société étrangère alors qu’elle n’était pas tenue de le faire, n’a pas sollicité l’application du principe de la compensation de dettes connexes.

Dans un cas de compensation de créances connexes, sont alors écartées les conditions de la compensation prévues par le Code civil (Cour de cassation 28/04/2009 n°08-14.756).

A noter que la Cour de cassation a récemment retenu la possibilité d’un paiement par compensation légale après le jugement d’ouverture dès lors qu’il s’agit de créances postérieures « privilégiées » ou « méritantes » (Cour de cassation 01/07/2020 n°18-25.487).

Pour que cette compensation légale ait lieu, il faut que les créances soient postérieures au jugement d’ouverture et qu’elles remplissent les conditions des articles 1347 à 1348-2 du Code civil (c’est-à-dire qu’elles soient réciproques, liquides, fongibles et exigibles). Il n’est donc pas nécessaire que les créances soient exigibles avant le jugement d’ouverture ou qu’elles soient connexes pour faire l’objet d’une compensation légale.