Rupture brutale relation commerciale

Contrats internationaux

Contrat international de distribution ; loi française applicable au contrat – ordre public; tribunal compétent ; modification substantielle du contrat au moment du renouvellement ; rupture brutale de relation commerciale établie ; indemnisation.

Rappel des faits : Un distributeur français et un fabricant étranger basé dans l’Union européenne ont conclu plusieurs contrats de distribution à durée déterminée de 2 ans à partir de 2009, dont le dernier s’est terminé en 2020. Il prévoyait un renouvellement pour une durée indéterminée avec un préavis de 3 mois. De ce fait, le contrat s’est renouvelé à partir de 2021 dans les mêmes termes.

Le contrat contenait une clause d’exclusivité sur le territoire français et une liste de clients réservés.

Le droit applicable et la juridiction compétente étaient ceux du fournisseur étranger.

Le fournisseur étranger a proposé la conclusion d’un nouveau contrat sur une période réduite pendant l’année 2021 retirant l’exclusivité à la société de distribution et allongeant la liste de clients réservés entrainant une réduction sensible du chiffre d’affaires. Parallèlement elle recrutait un agent commercial pour le territoire.

Quels moyens le distributeur français pouvait-il invoquer pour faire valoir ses droits ?

La loi française peut s’appliquer malgré le choix de la loi étrangère dans le contrat.

En effet elle peut être considérée comme une loi de police, d’ordre public.

En droit français, c’est l’ancien article L.442.6.1.5° du Code de commerce, désormais article L.442-1-II depuis le 24 avril 2019, qui traite de la rupture brutale de la relation commerciale établie et impose un délai de préavis de 18 mois.

La jurisprudence a considéré ce texte comme une loi de police française.

En droit européen, une loi de police « est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat » au sens de l’article 9 du règlement européen n°593/2008 relatif à la loi applicable aux obligations contractuelles. Selon ce règlement, une telle loi permet donc d’écarter la loi choisie par les parties en vertu de son article 3.

Les lois de polices sont donc des dispositions internes qui ont vocation à s’appliquer à l’international. L’application d’une loi de police française permettrait alors d’écarter la loi désignée contractuellement si cette dernière devait être défavorable à la société française.

La notion de loi de police a été développée par le Conseil d’État (29/06/1973, n°77982) et  définie par Francescakis (professeur de droit international et influence déterminante sur l’école française de droit international privé) comme une loi dont l’application est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale et économique d’un pays.

La Cour de cassation a estimé que l’ancien article L.442-6 du Code de commerce, en matière de déséquilibre significatif, constitue bien une disposition impérative dont le respect est jugé crucial pour l’organisation économique et sociale de la France, entrainant sa qualification de  loi de police (affaire Expédia, 8/07/2020, n°17-31.536).

En 2019, la Cour d’appel de Paris a estimé que si l’ancien article L.442-6 du Code de commerce pouvait revêtir le caractère d’une loi de police, il fallait tout de même justifier d’un lien de rattachement suffisant avec la France afin d’écarter l’application d’une loi étrangère (CA Paris 12/06/2019 n°17/00030). Un tel lien de rattachement peut être caractérisé par l’exécution du contrat sur le territoire français (CA Lyon, 30/04/2008 n°06/04689).

Un préavis de 18 mois selon la loi française lors d’une rupture brutale de relation commerciale établie.

S’agissant de la relation commerciale, le caractère établi est constitué quand les relations sont régulières, significatives et stables (Cour de cassation, 15.09/2009, n°08-19200). De plus, la succession de contrats à durée déterminée est une situation conduisant à l’admission d’une relation commerciale établie (CA Paris, 5/07/2017, n°17/08074).

Selon la Cour, la succession de contrats à durée déterminée constitutive d’une relation commerciale n’échappe pas à la délivrance d’un préavis raisonnable (Cour de cassation, 23/06/2015, n°14-14.687), la simple caractérisation de la relation commerciale suffit à conserver cette obligation (23/06/2015 n°14-14.687).

La rupture brutale sans préavis des relations commerciales entre les deux sociétés résulterait du comportement abusif de la société fournisseur qui ne respecte plus le contrat en cours, puisque cela constitue une modification substantielle de ses termes (Cour de cassation, 03/02/2015 n°13-24592).

Le changement substantiel des conditions de la relation commerciale établie est qualifiable de rupture lorsque l’économie du contrat est bouleversée (CA Paris, 6 mai 2015 n°13/01886).

En France, le nouvel article L.442-1-II du Code de commerce impose une durée suffisante de préavis de 18 mois afin que l’auteur de la rupture, préalablement notifiée par écrit, ne voit pas sa responsabilité engagée.

L’octroi d’un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures, y compris de l’exclusivité territoriale concédée dans le contrat (Cour de cassation, 10/02/2015, n°13-26.414).

Il faut donc que le fournisseur soit vigilant et qu’il agisse avec prudence lorsqu’il tente d’imposer une modification substantielle du contrat, et donc de la relation commerciale établie afin de prévoir un délai de préavis raisonnable à respecter pour ne pas basculer dans la rupture brutale des relations.

L’existence d’une procédure d’urgence afin de faire respecter le délai de préavis.

Dans le cas où le fournisseur déciderait d’arrêter le contrat immédiatement, la société française de distribution pourrait envisager de saisir le juge des référés pour demander le maintien du contrat rompu brutalement (Cour de cassation, 24 juin 2020, n° 19-12.261).

L’objectif de cette demande au juge des référés, favorable au partenaire évincé, est de prévenir un dommage imminent suite à une rupture possiblement illicite des relations contractuelles.

Cette action pourrait également permettre de pallier au fait que la Cour d’appel de Paris est seule compétente en matière d’appel des décisions rendues par les 8 juridictions spécialisées, ce qui peut engendrer un délai assez long.

L’indemnisation suite à la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Le principe est un non-cumul avec l’action en responsabilité contractuelle du Code civil (CA Paris, 19/01/2018, n°15/21628). Mais pour autant, un fait générateur peut caractériser deux dommages distincts ; l’un résultant d’un manquement contractuel et l’autre de la rupture brutale des relations commerciales (Cour de cassation, 27/03/2019, n°16-24.630).

Selon la jurisprudence, le montant des dommages et intérêts alloués à la victime suite à une rupture brutale des relations commerciales se définit en fonction de la marge brute que la victime aurait dû percevoir pendant la durée de préavis non-respectée, calculée sur la moyenne des trois derniers exercices clos (CA Paris 02/02/2017, n°15/04850).

Dans le but d’évaluer le préjudice subi, la jurisprudence a aussi retenu la marge sur les coûts variables, déterminée en fonction du chiffre d’affaires dont la victime de la rupture brutale a été privée sous déduction des charges n’ayant pas été supportées en raison de la baisse d’activité résultant de la rupture (CA Paris 04/04/2018, n°15/13123).

A noter que le dommage réparable est seulement celui entrainé par la brutalité de la rupture, et non la rupture elle-même. Sont donc exclus en principe les frais de licenciement du personnel ou des commandes annulées.

Dès lors qu’un changement substantiel n’est pas subi, mais expressément convenu entre les parties au contrat, aucune rupture brutale des relations commerciales ne peut être retenue et donc aucune indemnisation ne s’en suit (Cour de cassation, 9 juillet 2013 n°12-20468). De même pour une proposition de modification substantielle des termes du contrat sans caractère contraignant (Cour de cassation, 20 novembre 2019 n°18-11966).

Quel tribunal compétent ?

Si le contrat désigne les juridictions d’un Etat membre de l’Union européenne, il faut se référer à l’article 25 du règlement européen n°1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. C’est donc selon le droit de l’Etat membre désigné qu’il faut regarder si ladite clause est entachée de nullité quant au fond.

Si cette clause n’est pas nulle, il reviendra au distributeur français d’invoquer devant le juge étranger la loi de police française et le juge étranger pourra être tenu de l’appliquer.

Le fait qu’une loi de police française soit invoquée au fond ne fait pas obstacle à l’efficacité d’une clause attributive de compétence à un tribunal étranger (Cour de cassation arrêt Monster Cable 22/10/2008, n°07-15.823 et CA Paris 26/09/2018, n°18-08165).

En l’absence de juridiction désignée par les parties, c’est le tribunal du lieu de livraison de la marchandise qui est compétent en application de l’article 7 du règlement n°1215/2012.

L’action du ministre français de l’Économie.

S’ajoute à cela l’action autonome du ministre de l’Économie et du ministère public sur le fondement de l’article L.442-4 du Code de commerce. Dans ce cas la clause attributive de compétence n’est pas opposable au ministre de l’Economie.

Par exemple, lorsqu’il agit sur le fondement de l’ancien article L.442-6 du Code de commerce, au titre de sa mission de gardien de l’ordre public économique, le ministre de l’Économie n’est pas tenu par la clause d’arbitrage contenue dans le contrat dont il recherche l’annulation et peut donc porter le litige devant les juridictions étatiques (Cour de cassation, 06/07/2016, n°15-21.811).

Le ministre de l’Economie et le ministère public peuvent faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, mais aussi demander la restitution des avantages indument obtenus. Ils peuvent également demander le prononcé d’une amende civile.

Le ministre de l’Économie dans ce cas n’agit que pour la défense de l’intérêt général et non dans l’intérêt des contractants lésés.

Importance des négociations avec son cocontractant.

Au moment de la rédaction du contrat d’origine : avant de s’engager sur une loi applicable dans la clause de « litiges », il faut en analyser les conséquences, ce qui peut amener à choisir une loi d’un autre pays.

Quant au tribunal, d’Etat ou Arbitral, là encore il y a une multitude de solutions avec un coût qu’il faut évaluer, et envisager un préalable amiable obligatoire de type conciliation ou médiation.

Après la survenance du litige :  Dans une pareille situation, il est conseillé à la société française de négocier un préavis raisonnable en invoquant les textes rappelés ci-dessus afin de lui permettre de se réorganiser. Il est également recommandé au partenaire qui subit la modification substantielle de faire attention aux circonstances dans lesquelles il s’oppose à ladite modification pour que la rupture ne lui devienne pas imputable.

Bien entendu, cette négociation peut intervenir dans le cadre d’une conciliation ou d’une médiation avant saisine du tribunal d’Etat compètent ou du tribunal arbitral.